Il est bien huit heures du matin quand je sors enfin des locaux d'Aegis, les cernes sous mes yeux concurrencent la noirceur du café dans le gobelet en carton que je viens d'acheter. Je soupire en passant ma main sur mon visage, j'observe la montre à mon poignet, si je me débrouille bien, je devrais pouvoir faire une sieste de quelques heures avant de retourner travailler.

Je me fais bousculer parce que j'avais trop le nez dans mon téléphone, mon précieux café vient s'échouer sur le sol m'arrachant un " Non " des plus dramatiques. Je regarde le liquide renversé au sol, même en essayant, je n'aurais pas pu le sauver. La chaussure de quelqu'un de pressé m'arrache un couinement de désespoir, je n'en avais même pas pris une gorgée ! Extrêmement déçu et de mauvaise humeur, je ramasse ma boisson qui, piétinée, ne pourra définitivement pas remplir sa fonction.

Je jette le gobelet et m'essuie les mains avec ma serviette en papier. Je hais les gens pressés. Je soupire doucement, je fais volte-face, je vais opter pour un second café, dans l'espoir que cette fois, il ne quitte pas mes mains. Je prends même une viennoiserie et un supplément de crème et de sirop de noisette. Je passe ma main dans ma chevelure décolorée dans l'espoir que ce geste me permette de rester éveillé.

Finalement, pour être sûr que ce café noisette ne rejoigne pas son frère, je m'assois sagement à une table, au moins, il ne connaîtra pas un triste sort celui-là. Je m'affale sur la chaise, vous avez déjà vu un sac de ciment qui tombe ? C'est moi. Je coule contre le dossier, ma boisson sent divinement bon, un véritable paradis pour mon corps exténué.

Une voix me tire de ma torpeur, il faut dire que je n'étais pas loin de m'endormir sur cette chaise, un léger sursaut, je relève mon regard améthyste sur lui. Qu'est-ce que quoi ? Une discussion, une ombre ? Je viens de finir mon travail, il n'est pas sérieux. Toutefois, parler à voix haute de ce genre de choses pourrait conduire à des problèmes. Puis je ne suis pas quelqu'un de terrain moi... Je déglutis et secoue négativement la tête, je ne veux pas comprendre ce qu'il dit, je n'ai pas été confronté à ces choses directement. Je n'ai fait que recoudre des gens, mes études de chirurgie ne sont même pas terminées, j'apprends encore.

" Thoma. Thoma Swiftstrike. "

Je ne peux même pas me lever et m'enfuir tellement je suis léthargique, je grince des dents. J'écrase ma main sur mon visage avant d'attraper ma tasse de café et de la porter à mes lèvres. Le liquide sombre venant brûler ma gorge agréablement. Je ne sais pas ce qu'il espère, mais je n'ai franchement pas envie d'avoir à recoudre qui que ce soit dans cet état de fatigue. Je sors des lunettes de soleil de ma poche pour les faire glisser sur mon nez et supporter la lumière ambiante.

" Ton nom m'est vaguement familier. "

Je l'ai déjà croisé... Je crois ? Mon cerveau hébété par la fatigue m'abandonne sur ce coup-là, ce n'est pas lui qui va me rappeler qui j'ai croisé. Il faut dire, j'en ai vu des gens, à force de les recoudre... Bizarrement, sa présence me donne l'impression que des ennuis vont encore me tomber dessus. Après... Ce n'est pas le cas dès que je parle à quelqu'un ? S'il y a vraiment une ombre ici, ne devrait-on pas appeler une équipe ? *La procédure, la procédure Thoma... Souviens-toi de la procédure...* Je m'agite en proie au stress, j'aurais dû faire une sieste dans les locaux. Ma jambe tremble et je joue avec la cuillère de mon café, essayant de distraire mes pensées.

Quand on est fatigué, on se fait des milliers de scénarios à une vitesse hallucinante, vous savez ? C'est exactement ce que je suis en train de faire. Je serre les dents. Je finis par déglutir de nouveau pour dénouer ma langue.

" De quoi veux-tu parler... Je comptais boire mon café et rentrer chez moi. "

En prononçant ces mots je prends ma tasse dans mes mains. Depuis qu'il a dit qu'une ombre était là, mes yeux n'ont pas quitté cette fameuse boisson que je viens une nouvelle fois porter à mes lèvres, le corps tendu comme un arc.

Le regardant droit dans les yeux afin d'essayer de l'analyser comme il se doit, je ne le vois pas fléchir, et lorsqu'il me donne son identité, je n'entends pas de stress dans sa voix, encore moins de bégaiement. Thoma Swi... Thoma Swife... Heu, Thomas S. Il continue de boire comme si de rien n'était avant de mettre des lunettes de soleil, me faisant sourire d'un air satisfait. Prenant un ton normal, ne chuchotant plus, je lui réponds très simplement.

« Oh ? Mon nom t'es familier ? Et bien après tout, nous travaillons pour la même société. »

Ramenant mes pieds au sol, je m'assoie correctement sur ma chaise, me plaçant légèrement vers l'avant, plaçant mes coudes sur la table et venant joindre mes mains, plongeant mon regard dans les carreaux opaques de l'homme se tenant face à moi, mon air joueur ayant laissé la place à un air sérieux.

*Je l'aime bien, il s'est pas enfuit ! Et il réponds de manière lucide malgré la situation ! *
*Il ne s'est pas enfuit mais ce n'est pas pour autant qu'il a l'air rassuré ! Alors tu peux lui dire que ce n'était qu'un test maintenant. *
*Rhoooo on peux même plus tester les autres avec toi ! Bon, un dernier coup et ensuite je lui dis tout ok ? *
*Que vas-tu faire encore ?! *
*T'inquiètes pas, je veux juste voir comment il va réagir face à toi ! On va voir s'il est capable de ne pas céder à la panique. S'il en est capable, alors je sais que je n'aurais pas à m'inquiéter lorsqu'il couvrira mes arrières ou celles d'un autre soldat ! *

Plaçant ma main dans la poche droite de ma veste, j'attrape mon portable pour le sortir et le placer sur la table, pile entre nous deux, de manière à ce que les reflets du soleil levant viennent parcourir l'écran, permettant à l'ombre m'accompagnant de venir s'y incruster.

*Je te préviens, s'il hurle, il va passer pour un fou et ce sera de ta faute ! C'est la dernière fois que je fais ça pour toi ! *
« Je suis dans la partie marketing de la société. Tu travailles pour Aegis depuis combien de temps ? Et t'es dans quel domaine ? »

Je me réveille avec un putin de mal de crâne, comme tous les jours en vrai. Avec un petit grognement, je lève le haut de mon corps, mettant ma main sur mon front, comme pour soulager un temps soit peu, cette douleur qui tire.

Je soupire. Chaque soir, mon passé continuait à tourner dans mes rêves. Je voyais encore les visages terrifiés de mes parents dans cette petite seconde, devant le miroir de la salle de bain, avant qu'ils disparaissent en fumée, laissant des traces de sang et des vêtements déchiquetés. Le désespoir de ce moment, l'impuissance et le chagrin sont encore bien présents en moi. Sans que je remarque, ma main gauche serrait déjà fortement le drap et d'un coup d'œil, je pouvais voir les bandages sur mes bras.

Doucement, je me lève, j'attrape un pull noir qui était posé sur la chaise et je l'enfile, accompagnés des collants noirs et d'une jupe rouge foncé. Ce rouge, comme le sang séché qui avait accompagné la disparition de mes parents et qui montrait le temps qu'il s'était passé sans que personne ne se rendent compte de leur disparition. Après m'être débarbouillé sur un évier dans le salon, je jette un dernier coup d'œil dans ma salle de bain avant de sortir, équipés de mes bottines et manteau noir d'hiver. L'horloge montre 6h48.

L'air est froid, je pouvais voir mon souffle sortir de ma bouche. C'est étrange comment j'aime ce moment de la journée. Mon mal de tête passe toujours légèrement à ce moment. Le jour n'est pas encore levé et ce froid pique légèrement mon nez. Le temps a l'air de s'être stoppé.

7h30, je m'arrête à mon café habituel pour prendre mon café crème. C'est mon spot favori, le café possède des grandes vitrines de chaque côté, permettant de voir le ciel changer de couleur qu'importe où on se trouve. Il est grand, et souvent calme. Ce qui me permet un temps soi peu de me détendre.

8h, les clients continuent de changer, certains ont le sourire tandis que d'autres sont déjà épuisés. Il y en avait particulièrement un, qui avait l'air à un pied de la tombe tellement ses cernes sont profonds. À se demander ce qu'il a pu faire le soir, voir depuis plusieurs jours. Vu son apparence, il s'est peut-être beaucoup amusé sur des choses dont je ne préfère pas y penser? Ou, peut-être que justement, il a cette tête parce que le karma l'a rattrapé? Cette pensée, même si possiblement fausse me faisait légèrement ricaner. Au moment où j'avais cette réflexion, je le vois se faire bousculer, faisant tomber son café tout justement acheté. Oups ? J'eu un petit sourire. Les gens sont tellement pressés à cette heure. C'est aussi pour ça que la plupart prennent juste un café et partent en vitesse, laissant pas mal de place dans ce café. Ce qui m'arrange. Au moment où je reprends ma lecture sur mon téléphone, je le revois rentrer, pour se poser cette fois, sur la table à ma droite. Suivi d'un individu... Fortement joyeux cette fois ? Il a l'air très à l'aise et ses actions semblaient faire silencieusement du bruit, contrastant fortement avec son binôme. Et.. Ils ont l'air assez cachotiers. Quel étrange duo.

Je cogite, si je pouvais voir la menace, ça serait bien plus simple pour pouvoir entamer une procédure, si lui la voit, il peut le gérer tout seul, non ? Pourquoi il vient me dire ça à moi ? Il a pas vu les cernes sous mes yeux ? Maintenant, il veut conter fleurette... Mais laissez-moi dormir ! Je voulais juste un café au secours ! Je pensais que c'était un truc important ou urgent. Je serre ma tasse, je n'ai pas envie d'avoir à recoudre une personne de plus avant de dormir, si je dois recoudre quelqu'un je voue jure que je dessine une bite avec les coutures.

" On s'est peut-être croisés une fois ou j'ai entendu ton nom sur un dossier, j'imagine. "

Je porte mon café à mes lèvres en grinçant des dents, j'ai mal au dos, abusé, faut vraiment que j'aille me reposer, je n'arrive pas à ignorer à quel point je suis tendu. Une ombre, si proche. C'est miraculeux qu'elle n'ait causé aucune victime, je commence à me demander s'il ne me fait pas marcher et que j'ai paniqué pour rien... Je lève mes yeux violets par-dessus mes lunettes en croisant les bras.

" Ah c'est peut-être pour ça que j'ai entendu parler de toi. Je suis opérateur PAO, tu sais, la mise en page tout ça... Je crois que c'est ton service qui nous envoie les maquettes si je ne m'abuse...Ahhh... J'y suis depuis moins d'un an. "

Il faut dire que j'ai été introduit à ce monde d'une façon bien étrange, la version officielle est une reconversion dans le monde de la communication visuelle, un sacré écart entre chirurgien et cette branche si vous voulez mon avis. Enfin, on fait ce qu'on peut avec la version officielle. J'ai un sourire forcé sans baisser les yeux sur son téléphone qui lui est entré dans mon champ de vision périphérique. Je dois admettre que je ne comprends pas son geste, je ne l'ai pour autant pas enregistré encore.

" Je suis resté sur un projet au bureau toute la nuit donc mon chef m'a permis de prendre du repos. "

Je regarde finalement vers l'écran dirigé vers moi et penche la tête. Pourquoi il approche son téléphone comme ça. J'arque un sourcil et baisse mes lunettes sur mon nez. Baissant de nouveau la voix.

" Je sais qu'on bosse pour la même boîte, mais de là à s'échanger nos coordonnées ? Si tu as besoin de moi, tu as juste à faire une requête au service adéquat. "

Mon cerveau fatigué me rappelle qu'il y a une ombre, enfin, s'il dit vrai, je commence à le croire de moins en moins. Puis je ne voudrais pas qu'on me rappelle de mon repos avant même que j'ai eu le temps d'y goûter aussi... Je plisse les yeux en venant vider ma tasse de café, je ne peux m'empêcher d'être tendu, mon cerveau essayant toujours de peser la probabilité de toutes les possibilités. En même temps, pourquoi faire ce genre de blagues ? Ce serait franchement stupide, non ? En même temps, il a peut-être imaginé que ce serait drôle. Je le regarde derrière mes lunettes, les lèvres pincées, il est un peu trop détendu pour quelqu'un qui serait sur ce genre d'opération, non ? J'en sais rien remarque...